Un ange passe

Publié le par Zizanie

J’ai une vie de petite vieille. Aucun intérêt, rien à raconter. Dodo, métro, boulot, métro, cours, métro, vodka, dodo. Un intrus s’est glissé dans cette phrase, sauras-tu, lecteur, le retrouver ?

C’est mercredi. Plus de boulot, pas de cours, plus d’aïkido. Je me suis trainé à la médiathèque. Il était temps. Mon projet culturel a enfin démarré. Vieux motard que j’aimais. Toute seule, je n’y serais pas allé, c’est certain. J’avais rendez-vous avec une amie, nous avons fait nos inscriptions, et avons enfin pu exhiber nos cartes de bibliothèques, toutes fières. C’est pour vous montrer à quel point nos vies sont vides. J’ai trouvé quelques bouquins sur l’opéra contemporain, il va falloir que je bûche dessus. D’ailleurs, lecteur, au cas où ce soit l’une de tes grandes passions, je ne serai pas contre un coup de main (ou à défaut, un bon coup de pied).
Au sortir de la bibliothèque, on a erré des heures, entrant de temps en temps dans un magasin pour se réchauffer. Ensuite, nous nous sommes mises à la recherche d’un Starbucks (avec de la place si possible). Notre sens poussé de l’orientation nous a fait tourner en rond. Mon sac pèse trois tonnes, j’ai mal au dos. J’ai mal aux pieds. Elle a froid. Je fume. Beaucoup.
On peut enfin s’affaler sur les moelleux fauteuils. Deuxième café de la journée. Il est six heures. Aucune de nous ne veut rentrer. Troisième café et toujours aussi crevée. Quelques heures de passées à se dire qu’on n’avait rien à raconter. Elle est maquée, je suis maintenant célibataire. J’aurai donc du avoir des potins, et pour une fois, même pas. Je vais me faire nonne. Je n’ai pas voulu me confier. Ça lui paraitrait si futile à elle. Elle a récemment perdu son père d’un cancer. Elle est courageuse, elle ne se laisse pas abattre. Et moi, je me laisse couler alors que j’ai tout pour être heureuse. Je ne le suis pas. Je suis égoïste. Egocentrique. Je me sens terriblement nulle.
On a ressorti quelques vieux dossiers, on a fait nos médisantes. Qu’il est bon d’être une fille. Qu’il est bon de faire nos langues de putes. Ça détend. Ça dédouane. Nos vies sont vides mais celles des autres sont pathétiques. On s’en fout, aucune de nous n’ira rapporter, vu qu’on est toutes les deux impliquées (et même sacrément). On tarde, on cherche de nouveaux sujets. Je n’ai pas d’autre choix que d’aller m’enterrer chez mes géniteurs (merci Coloc’), elle habite chez les parents de son mec.
On décolle enfin nos fesses des sièges, on marche. Encore. Toujours avec nos livres sur le dos. Il fait froid. On s’arrête devant un métro et on continue à papoter. On est frigorifiées mais on s’en fout. On rentrera le plus tard possible. On se promet de se motiver, de sortir, de faire des choses concrètes. Désabusées.
Enfin on se sépare. Je suis dans le métro. Beaucoup de monde pour l’heure. Je tente de me plonger dans l’un des bouquins, griffonne quelques notes et déjà me voilà à destination.   

Je suis devant ma bécane, mes doigts courent sur le clavier. Je peux enfin m’inventer une vie. Je me réfugie dans mon imaginaire, dans ma bulle. J’évite ainsi de me confronter à la personne que je suis réellement. Une nana sans intérêt, une nana qui se plaint, une nana qui ne fait rien pour s’en sortir, une nana qui n’a rien à dire, une nana qui a tellement grossi qu’elle ne plait plus, une nana qui ne voit plus personne, une nana qui s’engueule avec tout le monde. Je suis une piètre vivante.

Je n’aime pas la vie. Je n’aime pas en profiter. Je n’aime pas manger, c’est significatif. Je veux hiberner. Je, je, je. Je n’atteindrai pas les trente ans, ce n’est pas envisageable. J’ai déjà du mal à assumer mes pauvres vingt-et-un printemps (et un jour).

Demain est dans une demi-heure. En quoi serait
-ce un autre jour ?



Météo intérieure : Poudreuse

Dans les oreilles : Agnès Bihl - L'enceinte vierge

Sous les yeux : Le Kobbé


Publié dans Soliloques

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