Prologue

Publié le par Zizanie

Je viens de refermer le livre de Camille de Peretti. Thornytorinx. Et je me suis dit que je pouvais bien arrêter mon blog parce que tout était là-dedans. Tout.
Je ne suis pas elle, je n’ai pas eu son parcours. Mais chacun de ses mots ont résonné en moi, comme autant de claques qui s’abattaient sur mon visage.

L’histoire d’une gamine qui a toujours tout réussi, toujours tout compris comme une grande personne. L’histoire d’une fille que l’on a mise sur un pied d’Estale à sa naissance. L’histoire d’une enfant seule. De récréations passées en classe, sous prétextes de maladies quelconques, cautionnées par sa mère.

Ma mère encore. Ma mère, qui a fait passer sa fille avant tout, qui l’a toujours soutenue même si elle avait tort, qui l’a toujours défendue, qui a toujours hurlé à qui ne voulait pas l’entendre à quel point elle était exceptionnelle. Qui lui a fait passer des tests de QI pour avoir des preuves de la précocité de sa progéniture. Des preuves à balancer pour contrer les critiques. La preuve qu’elle était une bonne mère.
Elle s’en félicitait. C’était grâce à elle si j’étais intelligente. C’était elle qui me l’avait transmis. Elle, la surdouée refoulée par une mère indigne qui ne l’a jamais comprise.

Alors elle a voulu tout donner à ses enfants. Et même trop. Elle anticipait le mondre de mes souhaits.
Chacune de mes réussites confortaient tous les espoirs qu’elle avait placés en moi. J’étais sa vitrine. Celle qui ne gâcherait pas sa vie, celle qui ferait de longues études.
Pour lui faire plaisir, je me persuadais de vouloir passer des années sur les bancs de l’école. Et j’ai réussi à me mettre dans la tête de devenir chercheur. Pour chercher quoi, aucune idée. Ou alors les étoiles dans les yeux de ma mère.

Et puis allemand première langue. Classe européenne. Option latin. Seconde dans un lycée côté des beaux quartiers. Des notes qui me plaçaient en tête de classe et que j’arrachais sans aucune difficulté. Sans travailler. Chemin tout tracé pour une première scientifique.

Et puis ces mêmes notes qui dégringolent d’un coup. Arrêt des cours. Dépression.
Ma mère, encore elle, fait des pieds et des mains pour me changer de lycée. Des allers-retours entre le rectorat et des écoles privées, pourtant hors de nos moyens. Toujours prête à se sacrifier. Pour faire passer le salaire de mon père dans le bonheur de ses enfants. Nous étions sa fierté.

Rien n’y faisait. Peu importe le lycée dans lequel je me trouvais, j’arrêtais définitivement d’y aller au bout de quelques semaines. Je n’ai pas passé mon bac par peur d’échouer. Mais pas que. Pour que l’on puisse encore se dire que j’étais capable, que j’aurais pu l’avoir haut la main. Et pour ne pas abandonner ma mère. Inconsciemment. Pour ne pas devenir adulte.
C’est cette année que j’ai pris conscience de ça, avec le psy. Comme quoi.

Une énorme culpabilité me rongeait. J’étais responsable des sacrifices de ma mère. Responsable du vide de sa vie. Responsable de sa souffrance. Responsable d’elle.
J’angoissais à chaque fois que je devais la quitter. Ce que je n’ai jamais vraiment fait. Même en partant vivre ailleurs.
Elle me culpabilisait en m’appelant dix fois par jour pour me dire que je lui manquais.

Elle m’avait tout donné et je n’étais pas capable de lui rendre le dixième de ses sacrifices.
Je me bridais. Je bridais ma colère envers son hypocondrie, je bridais mes angoisses pour la préserver, je faisais en sorte d’être une fille bien et de redevenir la petite fille modèle, en apparence, de mon enfance. J’ai cherché à contenter tout le monde. Ma mère d’un côté, mon ex de l’époque de l’autre. Je m’épinglais un sourire sur le visage.

Et je me servais de la nourriture comme exutoire. Je remplissais de bouffe le puits sans fond du désert de ma vie. Tout s’était écroulé. Mes illusions avaient été souillées, les images romanesques de mon imaginaire d’enfant blasphémées.
Je vomissais pour faire sortir tout ce que je maintenais cloitré au fond de moi. Pour éviter de déborder. Des années de boulimie et d’anorexie qui se justifient en quelques mots.

J’ai écrit les trois derniers paragraphes au passé parce que c’était plus facile pour moi de le raconter ainsi. Pour m’en détacher. Comme si c’était d’une autre dont je parlais.
Mais rien a changé. Je ne me suis pas sortie de là. Et c’est au présent qu’il faut les lire.

Ce bouquin a décrit si précisément tout ce que je viens de dire que ce fut une révélation. Il m’a confirmé que je faisais le bon choix. J’épargne les autres de mes questions existentielles en me lacérant le fond de la gorge avec mes ongles, au-dessus de la cuvette des toilettes. Je préserve la naïveté de ceux que j’aime. Plus jamais je ne veux que ma mère souffre de me voir dépérir, comme ce fut le cas tant de fois. Elle ne saura pas que je me détruis.

Ainsi, je redeviendrai la princesse de mes projets d’enfant. Aux yeux des autres. C’est le plus important. Quitte à me laisser me ronger de l’intérieur. Peu importe si je dois me tordre de douleur. Si je dois mourir.
Je continuerai à me faire vomir. Et à me priver. Je perdrai tous les kilos que j’ai accumulé en deux ans. Je redeviendrai jolie.

Le plaisir me restera étranger. Plaisir de manger, plaisir de réussir, je n’ai jamais su ce que ça signifiait.
J’ai pris la décision de rester malade. Et j’en suis soulagée. Je continuerai à combler mes angoisses en ingurgitant des quantités monstrueuses de nourriture que je déguelerai comme autant de mots que je ne jetterai pas aux visages des autres. Et je continerai à anesthésier mes phobies en les noyant dans de grands verres de vodka.
Je tartinerai mon teint blafard de maquillage et je ferai tout pour retrouver de beaux cheveux.

C’est un jeu. Une histoire que mon imagination de môme a élaborée. Une histoire dans laquelle je suis une grande usurpatrice.
Je réussirai ma mission. Coûte que coûte. Et si c’est ma vie, tant pis.



Météo intérieure : Premiers bourgeons de printemps

Dans les oreilles : Amy Winehouse - Rehab

Sous les yeux : Camille de Peretti - Thornytorinx


Publié dans Soliloques

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Commenter cet article
K
Ce billet est très beau.<br /> <br /> Je comprend tout à fait la météo intérieure : tu sembles exulter d'avoir fait ce choix ... il y a de la légèreté et de la douceur dans ton écriture (ce qui tranche avec ton style habituel) ... <br /> <br /> Cette lucidité que tu t'autorises ici, est-ce qu'elle ne permettrait pas à la jeune femme qui se laisse deviner derrière Zizanie de se permettre d'exister vraiment, pour elle-même, sans le fantôme de la petite fille modèle, et en dehors de l'ombre de cette maman étouffante ?<br /> <br /> Et si cette jeune femme choisissait de ne pas se considérer usurpatrice de sa propre vie ?<br /> <br /> Décidemment, ce billet est très beau ...
Répondre
Z
Il fait partie des articles qui se sont écrits tout seuls. C'est peut-être pour ça qu'il tranche avec les autres.Mais j'ai pas encore envie de me les poser, ces questions.