Reprise et lever (d'un coin) de rideau
J’ai un peu déserté, je sais. Je fuis mon blog. Pour éviter de le transformer en manuel de la parfaite anorexique-boulimique vomisseuse. Ce n’est pas ce que je veux. C’est une putain de saloperie. Le but n’est pas de donner des tuyaux, le but est d’écrire pour me soulager. Pour éviter de garder tout ça pour moi. Parce que personne n’est au courant de mes troubles alimentaires. Je ne tiens pas à en parler à mes proches. Ils ne comprendraient pas, ils s’inquiéteraient et me surveilleraient sans cesse. Trois bonnes raisons de me taire.
Si je dis qu’ils ne comprendraient pas, c’est que les rares fois où j’ai essayé d’aborder le sujet, de laisser trainer un bouquin pour ouvrir la discussion, je me suis heurtée à un mur. La despote a lu Thornytorinx, par exemple. Il trainait sous mon lit, chez mes parents, du temps où j’y avais un lit. « Il est bien ce livre, c’est triste pour cette pauvre fille. Je ne comprends pas comment on peut en arriver là. » Et autres ça n’arrive qu’aux autres. Ma mère s’est toujours voilé la face. Pour tout. Me concernant. Même en lui mettant une énorme loupe dans les mains. Et puis, la connaissant, je sais qu’il est inutile de lui ouvrir les yeux. Elle s’alarme pour rien. Elle me mène une vie pas possible avec ma santé, que je néglige. Elle est hypocondriaque, je le rappelle. Donc, ce n’est définitivement pas une bonne idée. Excluons du coup toute la famille proche. Qui irait lui cracher le morceau dans la seconde, ou à peu près.
Pour ce qui est des gens à qui je suis censée pouvoir parler, rien à faire. Entre Coloc’ qui me dit que c’est une lubie, que c’est moi qui décide d’être malade, que je gâche la nourriture à la vomir, que je ne suis pas grosse, que c’est pour plaire aux autres, à un autre en particulier, j’en passe et des meilleures. Et Tarabas qui me somme d’aller faire mes conneries ailleurs, parce que ça dérange sa conscience. Si j’ai envie de me détruire, libre à moi, mais pas dans ses toilettes. Il me reste qui dans tout ça ? Robin ? Je n’ai pas envie de partager ça avec lui. Il ne saurait pas quoi répondre. Il serait mal à l’aise. Il s’inquiéterait. Et tout changerait.
Bunny, Desperate Housewife, Schtroumpf grognon, et tout le reste ? Ce ne sont pas les bonnes personnes pour en parler. Bunny est dépressive, et puis son mec l’a quittée, donc ce n’est pas le moment. Et puis Bunny a de jolies formes, Bunny mange comme ça lui chante. A sa faim quoi. Ah oui, c’est vrai, ce truc existe chez les autres. Desperate Housewife est toute menue et elle trouve magnifiques les femmes un peu rondes. Elle mange ce qu’elle veut sans prendre un gramme. Et Bunny comme Desperate Housewife parlent rarement de leurs problèmes personnels. On n’entre jamais dans les détails. On prend tout avec légereté. On se voit pour prendre du bon temps. Boire un verre, aller au ciné, se rejoindre pendant une manif, discuter de tout et de rien, voir une expo. Point. Quant à Schtroumpf grognon, on évoque nos affaires sentimentales, deux trois potins et on s’en tient là.
En parler, j’ai rien contre, mais à qui ? Voilà pourquoi je me déverse sur ce blog. Pourquoi j’entre dans les détails. Parce que c’est pesant. Et que c’est le seul moyen de ne pas tout garder pour moi. Parce que j’ai envie qu’on sache à quel point je souffre de tout ça. On. Des gens qui ne connaissent que Zizanie. Des gens que je ne rencontrerai sans doute jamais. Ou peut-être un jour. Quand j’irai mieux. Quand je cesserai d’être asociale. Quand je cesserai d’être parano.
Je vais bien parce que je tiens le coup. Parce que je suis plus forte qu’elle. Parce que j’arrive à m’affamer. Je me sens bien parce que je me sens fondre. Je ne culpabilise plus. Je suis fière de moi. Ce n’est que le début. Le plus dur est à venir. Parce que je ne tiendrai pas des mois avec ce que j’avale.
Je lutte comme je peux contre elle. Je vais bien quand elle ne me détruit pas. Quand je me contrôle. Je culpabilise toujours, quand j’absorbe treize petites calories de plus que ce que je me suis autorisé. Mais j’arrive à me raisonner. A m’empêcher de me faire vomir. Parce que ce n’est que treize calories. Il me suffira de manger moins le lendemain. De marcher. D’aller m’acheter des chaussures.
D’ailleurs, je les ai trouvé mes chaussures. Simples, belles, classes, à talons mais compensées, parce que faut pas déconner, je vais quand même les porter neuf à dix heures par jour. Déjà que. J’ai plus l’habitude des talons moi. Ça fait plus d’un an que je traine que mes vieilles Doc et mes Veja pourries. Parce que pas envie de m’acheter des trucs. Je les aime, mes chaussures. Un coup de cœur. Comme à chaque fois. Elles n’étaient pas en solde, mais il n’y avait qu’elles. Et puis je les ai essayées. Et puis j’ai demandé une pointure de plus, comme si j’avais pas d’assez grands pieds. Mais comme j’ai les pieds qui gonflent, mieux vaut prévenir que guérir ne plus être capable de mettre un pied devant l’autre pour rentrer.
Seulement j’angoisse. Parce que je vais commencer à travailler. Vendredi prochain. Un coup de bol. Comme à chaque fois. Au même endroit que l’an dernier. Mais pas dans le même service. Si j’avais du supporter Iznogood un mois de plus, j’aurais refusé. Mon compte est un peu dans le rouge, mais c’est pas une raison pour être maso.
J’angoisse parce que je serai toute seule face à mon supérieur. Qui est supérieur à mon supérieur de l’an dernier. J’angoisse parce que je n’intégrerai pas d’équipe, qu’il n’y aura personne d’autre que moi qui travaillera pour lui. Pas d’autre agent. Juste moi. Il est méticuleux, ne laisse rien passer. Et il a des coups de speed où il se montre désagréable. Un mois à tirer. Un petit mois. Et ma future bécane à la clef.
Météo intérieure : Chaleur étouffante
Dans les oreilles : The Tings Tings - That’s Not My Name
Sous les yeux : Sarah Waters - Caresser le velours